Archives mensuelles : février 2011

L’humain face à Internet

Cet article est rédigé à partir de la conférence de Virginia Heffernan1 à la Villa Gillet, le 10 février 2011.

Internet fête, cette année, ses 20 ans. Lorsque l’on observe, avec le peu de recul qui nous est disponible, les débuts de cette aventure numérique, un certain nombre de points communs se manifeste entre l’exode rural et ce que nous pourrions appeler l’exode numérique.

De l’exode rural

Lorsque les gens quittent la campagne s’installer en ville, ils arrivent avec des projets, des espoirs, des soifs de connaissances, d’achats. Ce qu’ils trouvent ne correspond pas au fruit de leur imagination. Certes, il y a de grandes réussites, de belles bibliothèques, des universités prestigieuses dans cette ville. Mais ils découvrent également de la pauvreté, des violences, de la publicité à outrances, des accès V.I.P., des projets abandonnés… Face à cette « désillusion » certains abandonnent tandis que d’autres persévèrent.

Lorsque l’on regarde Internet à ses débuts, les ressemblances sont frappantes : le World Wide Web peut être un eldorado où de simples personnes sont devenues multimilliardaires avec juste une bonne idée. On pense à Google, Skype, Amazon, Facebook… Internet, c’est la plus grande base de connaissances (Wikipedia, NASA, Nature, etc. ). Mais c’est également un lieu où l’on trouve des projets abandonnés, des spams, des hackers, des virus. Et pour leur sécurité, ou pour ne pas être envahis, certains préfèrent quitter le web : faire, en quelque sorte, un retour à la terre.

Résidence privée « Mes belles applis »

Ce qu’il est intéressant de constater, c’est qu’actuellement, les gens ne vivent pas soit à la campagne, soit en ville. D’autres lieux de résidence se sont inventés et plus particulièrement des banlieues chics (ou Suburbs aux États-Unis ) situées en bordure des villes, mais déjà à la campagne. Ce sont des lieux protégés (bien qu’un fait divers fasse son apparition de temps en temps), possédant une certaine esthétique mais également réservés de hauts revenus.

Avec le temps, ces espaces sont apparus sur Internet. Ils ne sont pas accessibles depuis la toile : le WWW, mais avec son propre smartphone, sa propre tablette : ce sont les applications. Elles offrent, pour un grand nombre, une certaine qualité graphique et d’ergonomie, un sentiment de sécurité (Apple contrôlent l’ensemble des applications mises en ligne sur son Apple Store) mais le coût de revient est plus élevé : il faut acheter le smartphone (ou la tablette) puis chacune des applications dans le cas des applications payantes et sans publicité.

Au final, on se retrouve avec 3 comportements de l’homme face à Internet :
- Rejeter complètement Internet : c’est le retour à la terre,
- Accepter Internet dans sa globalité : c’est l’installation en centre ville,
- Vouloir un Internet plus sûr, plus beau et plus simple mais onéreux : c’est l’installation dans les banlieues chics.

Ce modèle n’est, bien sûr, pas exhaustif. Le type de comportements vis-à-vis des applications est celui que l’on retrouve sur les iPhone, iPad, windows Phone… Un certain nombre de personnes s’installe dans des banlieues moins protégées mais également moins contraignantes : les univers Androïd ou les jailbreak 2, par exemple. Mais cette comparaison est étonnamment fiable : un certain nombre de personnes travaillent en ville, mais vivent en banlieue ; d’autres viennent même de la campagne pour travailler… Se pourrait-il même que l’on retrouve des Desperates Appwives ?

Vous voyez d’autres analogies, des divergences ? N’hésitez pas à compléter et/ou à réagir à ce modèle en laissant votre commentaire !

3 réactions face au web - transcription disponible ci-dessous

3 réactions face au web - Cliquez pour agrandir

1 : Virginia Heffernan est en charge de la chronique « The medium » au New York Times
2 : Le jailbreak est un piratage de l’iPhone et de l’iPad permettant d’installer d’autres applications que celle présentes sur l’Apple Store.

Écrire un commentaire sur Facebook contribue au développement de soi

Retour sur les interventions des sociologues Dominique Cardon et Antonio A. Casilli à la conférence « Web culture : nouveaux modes de connaissances, nouvelles sociabilités » organisée par la Villa Gillet à l’Institut des Chartreux de Lyon et animée par Stéphane Bourmeau.1

Se développer en produisant du contenu

30% des français produisent actuellement du contenu. Avant le web, seulement 8% étaient auteurs. Internet a changé notre rapport à l’écrit : écrire ne se limite plus à de la transmission d’informations, mais est un moyen d’expression pour tout un chacun que ce soit au travers de ses statuts sur les réseaux sociaux, de ses avis sur des albums musicaux, en réponse à d’autres opinions… Cette mise en avant de ses pensées par un support autre que la parole est contrainte à une formulation claire et pérenne. La multiplication de ces efforts de transcription ainsi que les confrontations à d’autres points de vue vont affiner l’avis et les idées de celui qui, au final, n’aura peut-être que commenter un statut supplémentaire sur Facebook. La production de contenus, dont l’auteur et ses opinions sont les dénominateurs communs, est « en train de rentrer dans la production du moi ».

Parler de soi, pour être en relation avec les autres

Cet individualisme d’exposition sert la relation sociale de plusieurs façons. Il permet de créer des échanges autour de cette exhibition : « tu as vu mes dernières photos ? ». Dévoiler des bribes de sa vie sur Internet donne l’impression à la personne derrière son écran de “connaître l’auteur” et de créer un lien relationnel et/ou émotionnel. Cette mise en avant de soi aide également à entretenir le lien d’autres personnes de son propre réseau humain en leur offrant cet accès à une certaine intimité : Internet ne vient pas diminuer la relation sociale, mais au contraire l’augmenter : les relations sur le web complètent les relations I.R.L. “In Real Life”. Le web n’est pas un aspirateur de notre vie sociale c’est un outil de mise en valeur.

Se distancer de son contenu

Avant le web, lorsqu’un auteur réalisait une œuvre imprimée, matérialisée, un phénomène de distanciation se produit. Cette prise de recul se réalisait vis-à-vis de l’objet en lui-même mais également par le temps pris par la réalisation et la distribution de l’ouvrage. Avec Internet, il y a moins de distanciation mesurable. Le contenu produit engrange rapidement de la reconnaissance. Constater cette reconnaissance et son immédiateté est une chose très simple à mettre œuvre : il suffit d’observer la rapidité des interactions avec tel statut ou tel photo et le bouton “j’aime” sur Facebook. La distanciation ne se fait donc plus vis-à-vis de l’objet, ni même avec le temps mais en soi-même : notre production, notre avis ou notre histoire sont décrits par une sorte de voix off que l’on se crée.

Vous souhaitez compléter mon billet, réagir, n’hésitez pas à laisser un commentaire !

À propos de la conférence

« Des barbelés dans la prairie » le retour de conférence sur le blog de S. Léauthier

La fiche de la conférence sur le site de la Villa Gillet

Le blog d’Antonio A. Casilli

Les sociabilités neuves des « communautés d’information », le compte-rendu de la soirée par Clément Sénéchal

Les comptes twitter de Virginia Heffernan : @page88, d’Antoinio A. Casilli : @Bodyspacesoc et de Dominique Cardon : @Korege.

1:Je reviendrais dans un autre billet sur la très belle intervention de Virginia Heffernan lors de cette conférence.